Colloque "les chemins du deuil" 2025

Deuil et solitude avec Marie de Hennezel

Lorsque la mort entre dans nos vies, la solitude change de visage. Elle peut être refuge, vertige ou un désert qui semble impossible à traverser. Dans cet épisode du podcast sur le deuil Ainsi va la vie, la psychologue, auteure et conférencière Marie de Hennezel explore la manière dont cette solitude peut, malgré la douleur, devenir un espace fécond d’écoute intérieure et de transformation. Car si le silence effraie, il peut aussi offrir une profondeur insoupçonnée.

Solitude ou isolement : une confusion fréquente

L’un des éclairages majeurs de Marie de Hennezel réside dans la distinction entre solitude et isolement. L’isolement est un poison : il enferme, coupe du monde, fragilise. La solitude, elle, est constitutive de l’être humain. Nous sommes fondamentalement seuls face aux grandes questions de l’existence, et personne ne peut vivre ou mourir à notre place.
Apprivoiser la solitude consiste alors à reconnaître cette dimension intérieure qui nous habite, cette « présence en soi » dont parlent les philosophes et les poètes. Hannah Arendt évoquait ce dialogue intime avec un « quelqu’un en nous ». Entrer en relation avec cette voix intérieure, c’est déjà transformer la solitude en un lieu d’ancrage et non de perte.

Le deuil : une confrontation brutale au vide

La solitude des endeuillés porte une douleur particulière. Elle surgit souvent après une longue proximité : un conjoint, un parent, un ami occupait un espace quotidien que l’absence vient brutalement révéler. Le vide semble immense.
Pourtant, Marie de Hennezel rappelle que cette solitude est aussi l’occasion d’un mouvement intérieur : découvrir que l’autre continue d’exister en nous, différemment. Beaucoup d’endeuillés parlent ainsi d’une présence intériorisée, d’un lien subtil qui se renforce dans le silence. Le deuil révèle l’héritage invisible laissé par l’être aimé : valeurs, gestes, regards, manières d’habiter le monde.
« Les morts ne nous demandent pas de les pleurer, mais de les continuer », dit-elle. Cette phrase ouvre un chemin : après les larmes, vient le temps de poursuivre ce qui a été transmis.

Rencontrer son intériorité : une expérience parfois inconnue

Certaines personnes souffrent profondément lorsqu’elles se retrouvent seules, non par incapacité, mais parce qu’elles n’ont jamais eu l’occasion d’entrer en contact avec leur intériorité. La vie moderne, saturée de sollicitations, laisse peu de place au silence.
Se tourner vers soi peut alors faire peur, tant cet espace intérieur semble étranger. L’accompagnement joue ici un rôle déterminant : apprendre à s’apprivoiser, pas à pas, peut transformer la solitude en espace ressourçant.
Assumer sa solitude ne signifie pas se couper des autres. Au contraire, ceux qui savent revenir à eux-mêmes attendent moins des autres qu’ils comblent un vide ; ils deviennent plus disponibles, plus ouverts à la rencontre authentique.

Vieillir, perdre… et rester en lien

Avec l’âge, la perte devient une réalité fréquente : amis, conjoints, proches disparaissent les uns après les autres. Dans les maisons de retraite ou les EHPAD, ce vécu est souvent exacerbé par un sentiment d’invisibilité ou de mise à l’écart.
Pour accompagner ces personnes avec justesse, Marie de Hennezel insiste sur un point essentiel : montrer que la parole sur la mort n’effraie pas. Beaucoup de personnes âgées n’osent pas évoquer leurs deuils par crainte de peser sur leur entourage. Il suffit pourtant parfois d’un geste simple : s’asseoir, se rendre disponible, offrir quelques minutes d’écoute réelle.
Cette présence, humble et ouverte, peut rompre l’isolement émotionnel et redonner à ces personnes la sensation d’être reconnues dans leur humanité.

Une invitation à habiter le silence

Au fil de l’entretien, une conviction émerge : la solitude n’est pas une ennemie à fuir, mais une alliée subtile dans les temps de deuil. En l’apprivoisant, on apprend à se rencontrer soi-même, à accueillir son monde intérieur, à réinventer son lien avec les autres et avec la personne disparue.
Le podcast Ainsi va la vie nous rappelle qu’en parlant de la mort, on parle de la vie. Et que dans cette traversée parfois bouleversante, la solitude peut devenir un espace de reconstruction, de sens et d’apaisement.

Une lumière dans ma nuit avec Christophe Fauré

Perdre un être cher, c’est voir chaque repère voler en éclats. Le deuil touche le corps, la pensée, la relation aux autres, et plonge souvent dans un paysage intérieur totalement inconnu. Dans cet rencontre d’Ainsi va la vie, le podcast sur le deuil, Christophe Fauré — psychiatre, conférencier et auteur incontournable du domaine — apporte des repères essentiels pour comprendre cette traversée intime. Avec sa bienveillance habituelle, il rappelle que le deuil n’a pas de mode d’emploi, mais qu’il existe un chemin, même si l’on avance à tâtons.

Une plateforme digitale pour guider et soutenir : Une lumière dans ma nuit

Partant d’un constat simple — des millions de personnes vivent chaque année un deuil sans savoir ce qu’elles traversent — Christophe Fauré a conçu une plateforme d’accompagnement en ligne, destinée aux personnes endeuillées comme à ceux qui les accompagnent.
Elle repose sur une conviction forte : connaître le processus de deuil ne supprime pas la souffrance, mais offre une « carte » pour comprendre ce qui se joue. Comme un voyageur parachuté en Amazonie, la personne endeuillée a besoin de repères pour ne pas se perdre dans les méandres émotionnels du manque, de la colère ou de la culpabilité.
La plateforme propose ainsi des fiches pratiques, un journal de deuil pour exprimer ses émotions par l’écriture, plus de onze heures de témoignages de personnes plusieurs années après la perte, ainsi qu’un volet spécialement dédié aux accompagnants — bénévoles ou professionnels — pour affiner leur posture.

Comprendre un processus universel, mais unique

Le deuil est universel, même si chacun l’éprouve à sa manière. Christophe Fauré insiste : beaucoup ignorent qu’une réactivation émotionnelle un an après la perte est normale, ou que certains comportements courants ne sont pas le signe d’un « mauvais » deuil. Cette méconnaissance conduit parfois à l’inquiétude, voire à la pathologisation.
La plateforme vise donc à offrir un socle clair et accessible, pour que chacun puisse reconnaître les étapes naturelles de son propre cheminement et s’y sentir moins isolé.

La dimension spirituelle : un volet essentiel et apaisant

Depuis quelques années, Christophe Fauré intègre aussi dans son travail une dimension spirituelle, nourrie par des études scientifiques sur la continuité possible de la conscience après la mort. Expériences de fin de vie, vécus subjectifs de contact avec un défunt, expériences de mort imminente : autant d’éléments qui, loin d’être fantaisistes, ouvrent de nouvelles perspectives.
Pour certaines personnes, savoir que ces phénomènes existent et sont étudiés permet de vivre leur deuil avec davantage de douceur, en accueillant la possibilité d’un lien qui se poursuit autrement.

Comment accompagner un endeuillé avec justesse ?

L’une des plus grandes peurs des personnes en deuil est que le souvenir de l’existence du défunt disparaisse. Pourtant, l’entourage hésite souvent à évoquer la personne décédée, par crainte de « remuer le couteau dans la plaie ».
Christophe Fauré affirme au contraire qu’évoquer un prénom, un souvenir, une date anniversaire est un acte profondément soutenant. Même si des larmes surgissent, cela ne signifie pas que l’on fait du mal : ces larmes disent l’importance du lien. Un simple message lors d’une date sensible peut apporter un immense réconfort.

« Faire son deuil » : une expression trompeuse

L’idée que l’on pourrait « faire son deuil » — comme s’il s’agissait d’un processus avec un début et une fin — est, pour Christophe Fauré, totalement erronée.
Le décès ne met pas fin à la relation : il la transforme. Le lien d’amour se poursuit de manière intérieure, intime, parfois spirituelle. On ne tourne pas la page. On continue la relation autrement, et cette continuité peut accompagner toute une vie.

Traverser l'abîme après le suicide d'un proche

Quand un proche met fin à ses jours, c’est toute la logique du monde qui vacille. Le suicide laisse derrière lui un silence abrupt, une rupture brutale qui fait basculer l’endeuillé dans un abîme où se mêlent vertige, stupeur et incompréhension.

Dans cet entretien, la psychologue et psychanalyste Marie-Frédérique Bacqué, spécialiste du deuil, éclaire ce territoire sombre où rien ne semble tenir, et où pourtant un chemin reste possible.

Un bouleversement qui atteint les fondations de l’existence

Selon Marie-Frédérique Bacqué, le deuil après suicide n’est pas seulement la douleur de perdre un être aimé : il remet en cause la continuité même de la vie et l’idée que l’on se faisait de l’autre, de soi et du monde. Comprendre qu’il faut souffrir intensément pour choisir de mourir permet parfois d’adoucir la sidération initiale. Mais cet acte ouvre aussi une question redoutable : si l’autre a pu le faire, cela devient pensable pour chacun. Le suicide heurte ainsi non seulement la famille, mais aussi les valeurs sociales et culturelles qui entourent la mort.

L’idéalisation du suicide chez les jeunes : un phénomène inquiétant

La psychologue rappelle qu’en 2024, près de 9 200 personnes se sont suicidées en France, et que les tentatives augmentent fortement chez les jeunes femmes. Les réseaux sociaux jouent un rôle non négligeable : le suicide y apparaît parfois comme une forme de maîtrise ultime de soi. Pour les adolescents, traversés de bouleversements corporels et psychiques, le suicide peut se présenter comme une manière d’échapper au chaos intérieur ou d’exercer un pouvoir absolu — celui d’arrêter de souffrir.
Chez les jeunes femmes, la tentative est souvent un appel, un message, davantage qu’une volonté réelle de mourir. Leur rapport symbolique à la vie et à la transmission explique en partie cette dynamique.

Le poids de la culpabilité, de la honte et de l’impuissance

Le deuil après suicide est composé de strates émotionnelles complexes.
La culpabilité, d’abord, se décline en multiples questions : « Aurais-je pu empêcher cela ? Est-ce de ma faute ? Pourquoi m’a-t-il abandonné ? » Elle est consciente, mais aussi inconsciente, revenant sous forme de rêves, de fantasmes, d’actes manqués.
La honte, elle, touche au corps : « Qu’y a-t-il en moi de suicidogène ? » Certains endeuillés n’osent plus sortir, se cachent, se lavent compulsivement pour tenter d’effacer ce qu’ils croient porter malgré eux.
Face à ces états extrêmes, la parole seule ne suffit pas toujours : il faut parfois du soin corporel — yoga, massage, médiation animale — pour apaiser ce que l’esprit ne parvient plus à contenir.

Le rôle du pardon dans le processus de reconstruction

Le pardon ne consiste pas à excuser l’acte, mais à cesser de nourrir la colère contre le disparu. Cette colère naît de l’abandon ressenti, de l’irruption brutale de la mort dans la relation, et de l’idée que « tout aurait pu être réparé ». Le travail du deuil invite à explorer toutes les zones sombres de l’impact psychique du suicide — colère, peur, sentiments d’échec — jusqu’à comprendre que, pour la personne, il n’y avait peut-être plus d’autre issue.
Alors seulement, un apaisement devient possible.

L’importance vitale d’être accompagné

Pour Marie-Frédérique Bacqué, il est impératif de ne pas affronter seul ce deuil si particulier. Les pensées liées au suicide sont souvent indicibles, violentes, intraduisibles ; un professionnel formé peut accueillir cette parole sans jugement. Les groupes d’endeuillés peuvent également aider, à condition d’être encadrés par des animateurs qualifiés.
S’accompagner les uns les autres, développer la prévention, ouvrir un espace public où le suicide puisse être nommé : autant de leviers pour soutenir ceux qui restent.

Retrouver une lumière possible

Même au cœur de l’obscurité la plus profonde, l’être humain reste un être d’espérance. Ce que l’on cherche, au fond, c’est le lien : un mot, une présence, un geste. Traverser le deuil après suicide, c’est réapprendre à vivre en portant l’inacceptable, et découvrir qu’un apaisement peut naître de cette traversée — non par oubli, mais par transformation.
Dans cette zone fragile où se rencontrent douleur, mémoire et survie, Marie-Frédérique Bacqué nous rappelle que l’on peut, pas à pas, remettre du sens, du lien et de la lumière dans l’existence.

Du chagrin de la perte à la voie de la reconstruction_témoignages

Pour clôturer l’édition 2025 du colloque Les chemins de deuil organisé par Audiens et Agirc Arrco, j’ai choisi de donner la parole au public, car ce sont vos ressentis qui révèlent la portée réelle de cet événement.

Après les interventions des 4 invités, je suis allée recueillir vos impressions à chaud.

Vos témoignages font ressortir la grande qualité et la complémentarité des intervenants. Beaucoup ont été profondément touchés par la présence chaleureuse de Christophe Fauré et par la sagesse apaisante de Marie de Hennezel. L’intervention de Marie-Frédérique Baquet, précise et structurée, a offert des clés concrètes pour comprendre la complexité du deuil après suicide. Celle du Dr Beauregard, mêlant science et conscience, a suscité à la fois curiosité, réflexions nouvelles et a pu parfois déconcerter.

Tous s’accordent sur la richesse du colloque, son niveau d’exigence et l’importance des espaces de respiration musicale pour accueillir des sujets aussi lourds.

Vos retours témoignent d’un besoin profond de comprendre, de partager, de se relier — et confirment que ce colloque ouvre, chaque année, un lieu rare où penser ensemble la fragilité humaine.

Merci pour vos paroles précieuses. 

Pour retrouver l’intégralité du colloque, vous pouvez cliquer sur ce lien : https://youtu.be/HZeSWbse9PY