# 43 - Nos tissus sont pleins d'Affectif [Avec Catherine Dolto]
L’haptonomie : une science de l’affectivité qui transforme notre rapport à notre corporalité, à l’autre et à la vie
Quand on entend parler d’haptonomie, beaucoup (comme moi avant de préparer cet épisode!) pensent immédiatement à la préparation à la naissance.
On imagine un couple, guidé par un professionnel, qui entre en contact avec son bébé in utero grâce au contact tactile.
Mais réduire l’haptonomie à cette seule dimension, c’est passer à côté de toute la richesse d’une approche unique, véritable « science de l’affectivité » qui touche aux fondements mêmes de notre humanité.
Cet épisode passionnant vous plonge au cœur de cette discipline encore méconnue.
Grâce à Catherine Dolto, médecin et haptothérapeute, et à l’héritage de Frans Veldman, fondateur de l’haptonomie, nous découvrirons comment elle accompagne la vie dans ses moments les plus intenses : la naissance, les transitions psychologiques, le deuil, mais aussi la fin de vie.
Qu'est-ce que l'haptonomie ?
Le mot « haptonomie » vient du grec ancien : hapsis (le contact, le toucher) et nomos (la règle, la loi).
L’haptonomie est une approche thérapeutique et existentielle qui s’intéresse à la manière dont nous entrons en relation avec nous-mêmes et avec les autres, à travers le contact tactile et la présence affective. Elle met en lumière un aspect fondamental de la vie humaine : le besoin de contact sécurisant et d’affection pour grandir, se construire et s’apaiser.
L’haptonomie est une véritable science humaine qui explore ce que le fondateur Frans Veldman appelait « l’affectivité de base ». Il s’agit de cette capacité à entrer en lien de manière authentique, respectueuse et profondément humaine.
L’haptonomie s’est diffusée, notamment dans le domaine de la périnatalité, mais aussi dans l’accompagnement thérapeutique, psychologique et en soins palliatifs.
Les origines de l’haptonomie
L’haptonomie a été développée au milieu du XXe siècle par le médecin et chercheur néerlandais Frans Veldman (1921-2010). À travers son travail auprès de patients, il a observé combien le toucher, lorsqu’il est empreint de respect et de bienveillance, pouvait transformer la relation thérapeutique.
Très tôt, il a mis en évidence que les êtres humains ont besoin, pour se développer harmonieusement, d’un contact qui n’est pas seulement physique, mais aussi affectif. Un contact qui dit : « je te reconnais », « tu existes », « tu es en sécurité ».
Ses découvertes l’ont conduit à élaborer une discipline à part entière, intégrant les sciences médicales, psychologiques et sociales.
Franz Wellmann a compris le lien entre la tête et le bassin.
Reliés par la colonne, le bassin, la base, et le contenu du crâne dans le cerveau sont tout le temps en relation, en passant par le système nerveux entérique.
“La base est le lieu le plus important pour l’affectif. A notre époque, la base, c’est sexe ou c’est sale. C’est dommage, car beaucoup de gens vivent avec une base coincée ou niée ou morte et ça a des effets sur leur façon de penser et d’être.”
Une approche holistique
L’un des principes fondamentaux de l’haptonomie est de considérer l’être humain comme un tout : la corporalité, la psyché et l’affectivité sont indissociables.
Dans un monde où la médecine tend parfois à compartimenter – le corps d’un côté, la psychologie de l’autre – l’haptonomie propose une vision unifiée. Elle met en lumière que nos émotions et nos mémoires affectives sont inscrites jusque dans nos tissus corporels, et qu’il est possible de les contacter par le biais du toucher.
C’est pourquoi on dit de l’haptonomie qu’elle est une approche « holistique ».
“Quand quelqu’un est en souffrance psychique, forcément, corporellement, il est dans des tensions. Si, grâce à l’haptonomie, on le met dans une sécurité, dans un sentiment de complétude, dans un vécu où tout est vivant, tout bouge, où il est vivant jusqu’au bout des doigts, jusqu’au bout des pieds, il se réapproprie ici et maintenant, se forme humaine, et c’est une certaine façon de se libérer de la façon dont il vivait charnellement une aliénation névrotique avant.
La mémoire inscrite dans nos tissus
Nous avons tendance à penser que la mémoire se situe uniquement dans notre cerveau. Or, la recherche en haptonomie, en neurosciences et en psycho-traumatologie, révèle que notre corps conserve lui aussi des traces de ce que nous avons vécu.
Ces « mémoires tissulaires » s’inscrivent dès la vie fœtale : le fœtus ressent déjà les émotions, le stress ou la joie de sa mère.
Tout au long de la vie d’une personne, certaines expériences s’inscrivent dans des “mémoires charnalisées” et influencent son rapport au monde. Parfois, elles resurgissent sous forme de tensions, de douleurs inexpliquées, ou de difficultés psychologiques, émotionnelles ou relationnelles.
L’haptonomie propose d’aller à la rencontre de ces mémoires corporelles. Le contact affectif, exercé par un professionnel formé, permet d’apaiser et parfois de libérer ces traces inscrites dans la chair.
Une pratique strictement professionnelle
Vous l’avez compris, l’haptonomie exige une formation rigoureuse, exclusivement réservée aux professionnels de santé : médecins, sages-femmes, psychologues, psychanalystes, kinésithérapeutes, infirmiers…
Selon Catherine Dolto, seul un professionnel de santé, avec sa compétence clinique et sa capacité d’écoute adaptée, peut accompagner les patient.e.s avec justesse et sécurité.
L’haptonomie au fil des étapes de la vie
L’haptonomie peut accompagner chaque personne à toutes les étapes de sa vie.
1. La vie prénatale et la naissance
C’est l’application la plus connue. Pendant la grossesse, les parents apprennent, grâce à l’haptonomie, à entrer en relation avec leur bébé par le contact tactile du ventre. Celui-ci répond, se déplace, vient au contact des mains.
Cette expérience est bouleversante : elle donne aux parents le sentiment d’une vraie rencontre avant même la naissance. Pour le bébé, c’est la garantie de se sentir accueilli et reconnu.
Au moment de l’accouchement, cette préparation favorise un climat de confiance et d’apaisement, tant pour la mère, que pour le co-parent et pour l’enfant.
2. Le deuil périnatal et les grossesses après la perte d’un bébé
L’haptonomie joue aussi un rôle précieux dans les situations de deuil périnatal.
Quand il y a l’annonce d’une maladie létale pour le bébé et qu’une Interruption Médicale de Grossesse est décidée, l’haptonomie peut aider les parents.
“Ce qu’il faut, c’est que les parents aient le sentiment qu’ils ont tenu la main de leur enfant jusqu’au bout et que cette interruption de grossesse, ils la vivent comme un acte d’amour.”
Lorsque des parents perdent un bébé pendant la grossesse ou peu après la naissance, le vécu est d’une violence inouïe et d’une intensité difficile à exprimer.
Grâce à l’haptonomie, il est possible d’apaiser corps et psychisme pour donner sa juste place au bébé décédé, préparer la grossesse d’après et accueillir plus sereinement le bébé à naître.
3. L’accompagnement psychologique
Au-delà de la périnatalité, l’haptonomie est une ressource dans de nombreuses difficultés psychologiques : anxiété, dépression, troubles de l’attachement, traumatismes.
En allant à la rencontre des mémoires corporelles tissulaires, elle aide à restaurer la confiance en soi, la capacité à entrer en relation, et un sentiment profond de sécurité intérieure.
4. La fin de vie et les soins palliatifs
Chez les personnes âgées ou en fin de vie, le besoin d’un contact tactile respectueux et chaleureux est immense. Beaucoup éprouvent un manque de contact humain bienveillant et attentif dans les institutions médicales.
L’haptonomie offre alors une présence qui va au-delà des mots. Le simple fait de poser une main, avec une qualité de présence affective, peut aider la personne à se sentir reconnue, apaisée et moins seule face à l’échéance de la mort.
“Chez les gens âgés, ce besoin d’être contacté tactilement est très grand parce que c’est des zones de mémoire qui restent vivantes. Ce besoin de sécurité affective reste vivant. Et je dirais même plus, se réveille.”
Pourquoi le contact tactile est-il si fondamental ?
Le toucher est le premier sens à se développer chez l’être humain : dès la vie intra-utérine, le fœtus perçoit les contacts. Il restera aussi le dernier sens à disparaître en fin de vie.
Cela explique pourquoi le besoin de contact est vital : sans lui, le développement affectif et psychique est entravé. De nombreuses études ont montré que les bébés privés de contacts tactiles chaleureux présentent des retards de croissance et des troubles de l’attachement.
L’haptonomie redonne à ce contact-toucher si spécifique toute sa place dans le soin, non pas comme un geste technique, mais comme un acte profondément humain.
L’haptonomie face aux défis contemporains
Dans nos sociétés modernes, souvent marquées par l’isolement, la performance et la virtualisation des relations, l’haptonomie apparaît comme un contrepoint salutaire. Elle nous rappelle que nous avons besoin d’affection réelle, de contact incarné, de sécurité affective.
Elle est aussi une réponse aux blessures affectives de notre temps : burn-out, solitude, deuils, ruptures. En rétablissant le lien entre le corps, le cœur et la psyché, elle contribue à restaurer une santé globale.
Catherine Dolto : une voix engagée pour l’haptonomie
Parmi les personnalités qui œuvrent à faire connaître l’haptonomie, Catherine Dolto occupe une place centrale. Médecin et haptothérapeute, elle s’attache à diffuser l’information sur cette science auprès du grand public et à former des professionnels sérieux et engagés.
Dans ses nombreux écrits, livres et conférences, elle souligne la dimension profondément humaine de l’haptonomie.
Pour elle, il s’agit d’être en relation, de reconnaître l’autre dans sa dignité et sa vulnérabilité.
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